Lettre aux familles du 15 juin 2020

Aux 400 coups nous cherchons à entretenir une relation de confiance avec les familles en amont et en aval des séjours.

C’est un préalable essentiel pour bien accueillir les enfants. On prend le temps avec vous de faire la lumière sur nos intentions pédagogiques et d’expliciter nos manières de les incarner dans le quotidien des séjours. Nous préférons aujourd’hui nous adresser à vous et aux jeunes plutôt qu’aux pouvoirs publics qui nous ont bien malmenés ces dernières semaines. Que sont nos colos ? Vous en avez peut-être une idée précise. La crise sanitaire nous a de notre côté amené à le réaffirmer collectivement et à toucher d’un doigt -désinfecté bien sûr- ce qu’est l’essence même de l’accueil collectif de mineurs aux 400 Coups.

Vivre en groupe c’est la proximité, l’affection, le partage, l’attention et la reconnaissance des
autres qui passe aussi par le toucher. Pas de colo sans chaleur humaine. Pas de colo sans jeux petits et grands, à quelques un.e.s ou à pleins !

Pas de colo sans bons casse-croûtes préparés ensemble, sans grandes tablées. Du modeste point de vue des besoins fondamentaux de l’enfant la doctrine du sans contact est donc pour nous inenvisageable car maltraitante.
Pas de colo sans moments en petits et en grand groupe (n’excédant jamais 25 personnes). Pas de colos sans alternance de moments pour respirer et se reposer et de moments pour se retrouver. Se retrouver pour y puiser de la force, se retrouver pour bien se marrer, se retrouver pour pouvoir s’accorder. D’un point de vue plus collectif le vivre ensemble des colos n’existe donc pas sans alternances d’espaces et de taille de groupes différents qui rendent aux individus la vie en collectif vivable, et même agréable.
Pas de colo enfin sans une place pour l’individu, ses besoins et ses choix ; pouvoir choisir avec
qui on partage sa tente, participer ou pas à telle ou telle activité proposée par les copains, faire
certaines choses sans supervision, se confier à tel animateurices plutôt qu’à tel autre. Orchestrer le rythme, la sectorisation et la fragmentation de la vie du groupe a des fins de traçabilité et de
contrôle relève donc pour nous du contresens le plus complet.

Pourquoi nous n’avons pas pu travailler correctement cette année et à quoi ressembleront nos colos cet été

Préparé un an à l’avance et porté tout au long de l’année, chaque séjour est le fruit des envies et
du travail d’une équipe qui s’est engagée. Ces séjours incarnés ne sont pas le fruit d’une étude de marché avec fiche technique et offre d’emploi jointes au package pour jeune entrepreneur de
tourisme social. Les équipes ne sont pas remplaçables, jetables ou interchangeables. Cela nous rend faillibles. Au delà de considérations pédagogiques, le protocole sanitaire des ACM tel qu’il est suppose de travailler dans l’urgence, dans une temporalité que nous ne maîtrisons pas, qui
n’est pas la nôtre et qui nous frustre terriblement jusqu’à nous mettre en colère . Hors de
question pour nous en tant qu’organisme de mettre sous pression les équipes dans ce contexte
particulier qui n’a pas eu les mêmes répercussions sur les projections de chacun.e.

Ce fameux protocole a fini par tomber mardi 9 juin. On entend déjà qu’il pourrait encore évoluer
autour du 22 juin. Depuis de trop longues semaines, nous attendons, discutons, (des)espérons et
avons mis en sursis la finalisation de la préparation de nos colos. Tout le processus nous a
désarmés, a mis à mal notre travail et notre enthousiasme. Le délai d’attente et ces incertitudes sans cesse ravivées ont contraint certaines équipes à prendre la décision d’annuler. Les raisons sont diverses ; des contraintes logistiques (itinérance, activités spécifiques…), des facteurs extérieurs (liens altérés avec les lieux d’accueil déstabilisés par la crise sanitaire), des bouleversement personnels, un climat général qui a empêché toute projection à moyen terme, grippant la machine du montage d’un séjour. Pour le moment, il s’agit des séjours :

-L’appel de la forêt
-Le pied à l’étrier
-Montagne en chantier

Peut-être que d’autres annulations suivront. Conscients de la complexité d’une organisation
familiale multi paramètres nous vous assurons que ce n’est pas simple ni léger pour nous de prendre de telles décisions. Pour nous organisateurs ne pas envoyer des équipes au casse-pipe c’est cependant prendre soin des personnes pour qu’elles puissent être pleinement présentes et attentives aux enfants cet été et les suivants.

Pour les séjours qui seront maintenus, parce que nous sommes dans un contexte de crise sanitaire, nous prendrons des dispositions pour prévenir et intervenir en cas de besoin. Nous prendrons le temps d’aborder cette question avec chaque jeune et chaque famille en amont du séjour sur la base du consentement avec les dispositions que nous prenons.

Il est important pour nous de recueillir au préalable vos attentes, votre avis et vos questions liées à ce que nous décidons de faire de ce protocole. Nous mettrons en place les mesures sanitaires que nous jugeons adéquates :
savon et gel hydroalcoolique pour l’usage courant, des masques fournis aux équipes à utiliser en cas de besoin, virucide pour la désinfection des surfaces, plans de travail, tables et sanitaires. Ces mesures correspondent à ce que nous faisons déjà en temps normal et seront renforcées dans une attention constante et une vigilance particulière aux règles d’hygiène élémentaire.

Au delà de ces précautions d’usage, attendu que :

-nous ne sommes plus dans un contexte de forte propagation du virus
-nos colos ont toutes lieu dans des zones vertes où le virus a très peu circulé et ne circule
quasiment plus,

Nos colos se dérouleront comme prévu avec des éclats de voix, des éclats de rires, des sursauts,
des câlins, des susurrements à l’oreille pour se raconter tout ce qu’on a encore à vivre
Avec des grands sourires à découvert, chicots plein vent, avec cette saveur de liberté, de
renouveau et de rencontres. Au delà de nos petites frustrations d’animateurices chevronnés, ce qui nous soulève surtout c’est que la colo risque de devenir un produit de loisirs déshumanisé. Nous réaffirmons que nous ne sommes là ni à des fins purement récréatives, ni purement éducatives comme le propose le dispositif « vacances apprenantes », ni productives.

Nous défendons la colo en elle même pour ce qu’elle est et ce qu’elle permet aux enfants d’expérimenter par et pour eux-mêmes. Nous refusons d’être affiliés – comme c’est la tendance – à l’industrie touristique onglet tourisme social. Nous refusons d’être affiliés aux vacances apprenantes et à leur panoplie d’outils numériques pour faire des enfants de vrais opérateurs obéissants des robots d’un futur pas si lointain.

Jean-Michel Bocquet le dit ainsi : « Comment faire des pédagogies de la rencontre, du lien,
entre pairs ou avec des groupes mixtes, hétérogènes en âges ? Comment faire des pédagogies de la liberté ou de la décision où le groupe n’existe pas ? Comment construire des régulations et espaces démocratiques ? […] Le protocole impose une pédagogie traditionnelle qui n’est pas celle des
colos. »

On est bien d’accord avec lui, et on vous salue.
Les 400 Coups